L’homme au même niveau que l’anchois dans la chaîne alimentaire
Dans la chaîne alimentaire, l'homme ne
se situe pas au sommet, comme il pourrait le penser, mais au même niveau
que... les anchois et les cochons. Bien loin, donc, d'un super
prédateur. C'est la conclusion d'une étude originale, visant à mesurer
l'impact de la consommation humaine sur les écosystèmes, publiée dans
les Proceedings of the National Academy of Sciences lundi 2 décembre.
Pour arriver à ce résultat déroutant,
l'équipe conjointe de l'Institut français de recherche pour
l'exploitation de la mer (Ifremer), de l'Institut de recherche pour le
développement (IRD) et d'Agrocampus-Ouest a utilisé un outil classique
en écologie, mais qui n'avait jamais été appliqué à l'homme auparavant :
le niveau trophique, qui permet de positionner les différentes espèces dans la chaîne alimentaire.
A la base de cette échelle, et donc tout
en bas de la chaîne alimentaire, la valeur 1 correspond aux plantes et
au plancton. Les maillons suivants ont ensuite un indice égal à celui de
l'espèce qui assure leur alimentation, plus 1. Ainsi, les herbivores,
consommateurs des végétaux, relèvent du deuxième niveau (1 + 1),
les carnivores, prédateurs se nourrissant d'herbivores, sont eux
rattachés au troisième (2 + 1). Et ainsi de suite. Une vache, qui se
nourrit d'herbe, a alors un niveau trophique de 2, tandis qu'un orque,
un requin ou un ours polaire, qui mangent d'autres carnivores,
atteignent le niveau maximal de 5,5.
Pour situer l'homme, les scientifiques
ont utilisé les données de l'Organisation des Nations unies pour
l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur la consommation humaine (type
et quantité de nourriture) pour la période 1961-2009, disponibles pour
176 des 196 pays référencés. Résultat : le niveau trophique obtenu est
de 2,21, soit au niveau des anchois et des cochons. "Contrairement à
l'idée communément acquise, l'homme n'est pas en haut de la chaîne
trophique. Il n'est pas un super prédateur du point de vue de
l'alimentation", commente Sylvain Bonhommeau, principal auteur de
l'étude et chercheur en écologie marine à l'Ifremer. Pas si étonnant, en
réalité, dans la mesure où l'homme est omnivore.
Au-delà de ce positionnement plutôt
savoureux par rapport aux autres espèces, l'indice a pour principal
intérêt de comparer les régimes alimentaires des différents pays avec la
même échelle de valeur, ainsi que de suivre leurs évolutions dans le
temps.
Exemple : le Burundi s'avère le pays
avec le niveau trophique humain le plus bas (2,04) en raison d'un régime
alimentaire composé à presque 97 % de plantes ; à l'opposé, l'Islande
obtient le score le plus élevé avec un indice de 2,54, ce qui correspond
à une alimentation majoritairement carnivore (plus de 50 %), en
l'occurrence très riche en poisson.
Les auteurs notent par ailleurs une
hausse de 3 % du niveau trophique de l'homme depuis 1961, une tendance
essentiellement due à la Chine et l'Inde qui consomment de plus en plus
de poulets et de cochons. Leur indice est maintenant de 2,20, contre
2,05 en 1960. A l'inverse, celui de l'Occident a légèrement fléchi
depuis quelques années. "Au final, cet indice nous permet de mieux
comprendre l'impact de notre alimentation sur notre capacité future
à nourrir les 9 milliards d'êtres humains en 2050", assure Sylvain Bonhommeau.
Car manger un carnivore n'a pas le même
impact que manger un végétal. Comme l'explique l'article, pour produire 1
kg de prédateur du niveau 3, il faut 10 kg de proies de l’échelon 2, et
100 kg de végétaux de l’échelon 1. Se nourrir de plantes mobilise donc
moins de ressources et de territoires que de manger de la viande. Pour
mieux connaître cette pression sur les écosystèmes, l'équipe de
scientifiques travaille maintenant à convertir la consommation humaine
en production primaire nécessaire.
"Cette étude fournit un outil très
utile pour mesurer le régime alimentaire humain. Par contre, elle ne
doit pas laisser penser que l'impact de l'homme sur les écosystèmes est
mesuré, prévient Franck Courchamp, écologue directeur de recherches au CNRS. Car
cet impact ne se réduit pas à son alimentation. La pollution, les
espèces invasives, le braconnage d'espèces : tout cela, qui n'est pas
mesuré par le niveau trophique, détruit les ressources et altère les
écosystèmes. De ce point de vue, l'homme reste un super prédateur."
Audrey Garric